Eileen Grace Byrne † With God on our Side

Le 11 juin 1993 était un jour pluvieux. La petite Eileen est venue au monde alors que son père, trempé jusqu’aux os, bataillait sur un bateau afin de revenir au port le plus vite possible. Cillian Byrne était fatigué par la pêche. Mais alors que sa fille allait venir au monde, ses options pour nourrir sa famille n’étaient pas très nombreuses. Il était marié à Shauna depuis 3 ans et tous deux vivaient jusqu’alors très modestement, avec ses petits boulots et le travail de Shauna comme aide-soignante à l’hôpital de Galway. La pêche était devenue un bon compromis afin de répondre aux besoins de cette petite famille.
Eileen a passé la plupart de son enfance aux côtés de sa mère et de sa grand-mère comme le travail de son père exigeait de longues journées sur la mer. Son enfance a-t-elle été facile ? Non, mais, d’un autre côté, a-t-elle été une enfant facile ? A cette question également il faut répondre par la négative. La jeune Eileen est une enfant colérique, enchaînant les crises, épuisant sa mère, sa grand-mère et son père lorsqu’il est présent. L’école n’est pas non plus une partie de plaisir pour la jeune fille qui n’arrive jamais vraiment à se conformer aux attentes scolaires et accumule les difficultés dès son plus jeune âge. Ses parents sont peu disponibles et incapables de l’aider. Sa mise en échec scolaire provoque là aussi des crises de colère qui auront pour conséquence notamment un désengagement de l’ensemble de la petite famille dans la scolarité de la petite Eileen.

Le seul moment de répit pour tout ce beau monde avait lieu le dimanche. Jour du Seigneur, le jour où toute la famille se mettait dans de beaux habits pour aller à l’église. La petite Eileen se plaisait à parader dans sa petite robe bleu ciel qui volait au vent. Elle ne comprenait pas encore la dimension spirituelle de ces événements mais c’était ses journées préférées. Jamais elle ne s’était mise en colère un dimanche, plus tard, elle interpréterait cela comme un signe important.
Eileen grandit, souvent seule à la maison avec des parents tous deux très pris par leur travail. Mais tandis qu’elle grandit, son père dépérit. Il se met à détester tout ce qu’il entreprend. Son travail l’épuise physiquement et lorsqu’il rentre enfin chez lui, les cris de sa fille le maintiennent en tension. Le patriarche entame alors une spirale descendante. Il se met à boire après le travail dans un premier temps, puis également avant le travail. L’alcool joue sur son humeur et lorsqu’il rentre chez lui, incapable de se maîtriser, les gifles fusent afin de rétablir le calme. Sur le bâteau de pêche aussi l’alcoolisme de Cillian se fait remarquer et ce dernier se retrouve à la porte en quelques mois. La recherche de petits boulots stagne et il sait que Shauna ne peut soutenir leur famille avec sa seule paye, la seule option envisageable devient une option illégale. Cillian se tourne vers la mafia locale grâce à un vieil ami et continue alors dans une voie pourtant peu catholique.  

L’entrée du patriarche dans la criminalité coïncide avec l’entrée d’Eileen dans l’adolescence. La jeune fille poursuit une scolarité difficile, effacée parmi ses camarades, elle se distingue toutefois quelquefois par de violents accès de colère aboutissant à des expulsions de cours ou des bagarres. Solitaire, elle trouve des instants de paix en gribouillant quelques croquis sur des carnets qu’elle garde précieusement. Elle se rapproche autant de sa mère durant cette période qu’elle s’éloigne de père. Pourtant ce dernier travaille dur, malgré les substances dont il augmente la consommation, il semble avoir trouvé une voie qui lui convient. Discret mais efficace, ses revenus commencent enfin à récompenser tout le travail fourni jusqu’à présent. De la reconnaissance, voilà ce qu’il a attendu toute sa vie. Après avoir usé sa santé sur ces maudits bateaux, le voici enfin capable de répondre à tous les besoins de sa famille. Enfin de l’argent, enfin le bonheur. Car il paraît que les deux vont de pair. Alors du petit appartement, la famille déménage dans une maison, vers plus d’espace, vers plus de bonheur. Mais ce n’est pas de cet œil que le voit Eileen. Comme la période de l’adolescence conduit souvent les enfants vers un point de rupture avec leurs parents, Eileen se montre de plus au plus hostile, ne supporte pas voir son père changer sans comprendre les causes de cette transformation. Le patriarche ne s’était en effet pas vanté de son changement de voie professionnelle, ayant seulement prétexté une promotion à son ancien travail pour justifier de ses nouvelles rentrées d’argent. Shauna, toujours épuisées par ses journées à l’hôpital, n’avait pas la force de chercher plus loin. Mais Eileen, elle, avait toute la force de s’opposer à son père que son jeune âge lui conférait. Les disputes continuaient donc dans la résidence Byrne, Cillian vexé par le manque de reconnaissance de sa fille, cette dernière lui reprochant ses absences et son alcoolisme. Ces altercations étaient plus ou moins violentes, il n’était pas rare qu’elle débouche sur une crise de nerfs d’Eileen, sur des claquements de portes voire même sur un accrochage physique et systématiquement sur les pleurs de Shauna. Qu’avait-elle donc fait ? Ou n’avait-elle pas fait, pour voir sa famille se déchirer ainsi ?
Pourtant de l’amour, il y en avait, dans cette famille. De l’amour, Eileen en avait pour sa mère, mais aussi pour son père. Plus qu’elle ne le montrait c’est certain. Mais Dieu lui en serait témoin, elle l’aimait ; car elle avait prié pour lui à plusieurs reprises. Mais pas assez visiblement, pas assez pour le sauver de sa descente aux enfers et elle ne cesserait de se le reprocher, mais cela ne serait pas encore avant plusieurs années.

Lorsque la petite Saoirse disparaît, Eileen a 16 ans, un âge où chaque événement résonne en elle de manière disproportionnée. Bien qu’elle n’ait pas connu la petite fille personnellement, elle se porte volontaire pour participer aux recherches et se joint à chaque événement de soutien à la famille McCann. Alors que l’enquête stagne, Eileen elle-même se sent stagner, perdue dans sa vie, en quasi décrochage scolaire, ses perspectives d’avenir ne répondent pas à sa soif de vie et d’aventure. Tandis que son père continue de ramener plus d’argent, elle voit sa mère plonger dans la dépression et disparaître petit à petit derrière les mélanges chimiques des antidépresseurs. Se sentant impuissante face au dépérissement de ses parents, elle ne peut cependant plus y assister. Elle décide de partir à 17 ans pour Dublin, prétendant suivre une formation d’aide à la personne à ses parents, elle part en réalité avec son sac à dos et un bon pécule laissé par son père après de lourdes insistances de ce dernier.

Embarquée dans vieil autocar pour Dublin, elle regarde une dernière fois la ville où elle a grandi. Sans qu’elle ne s’en rende compte immédiatement, cette traversée sera pour elle une première grande révélation. Pour la première fois, elle prend conscience de l’omniprésence du vice et de la perversion dans sa ville. En essayant de photographier les différentes rues afin d'en garder de belles images, elle voit la prostitution, l’alcool, toute la misère sociale qu’elle connaît pourtant. Mais alors que l’autocar fait un dernier arrêt de ramassage, à la bordure de la ville, dans une banlieue pourtant réputée tranquille, une image lui déchire le cœur. Là, à quelques mètres seulement devant le car, trois hommes, bien habillés, cigares à la bouche échangent des paquets crafts et des enveloppes avec des garçons plus jeunes à peu près de son âge. Eileen secoue doucement la tête devant ce triste spectacle. La drogue était ce qu’il manquait à sa liste sur les vices de sa ville. Malgré l'indifférence visible de faire leur business au grand jour, un des hommes semble tout de même plus embêté que les autres par l’arrêt du car à proximité. Tous se détournent alors pour partir et c’est là que le cœur d’Eileen sombre dans sa poitrine.
Cillian, lui, ne voit pas sa fille, de l’autre côté de la vitre sombre.

Une fois arrivée à Dublin, les yeux rouges et gonflés par les larmes, Eileen jette l’enveloppe laissée par son père dans la première poubelle qu’elle trouve. Ecœurée par sa propre naïveté, elle prend une grande inspiration. Sa nouvelle vie commence ici.


Partir de rien dans une grande ville n’est pas chose simple. Eileen le découvre rapidement comme elle se confronte à l’indifférence de ce monde qui peuple la grande ville. Elle peine à trouver des petits jobs et des endroits pour dormir et va donc se réfugier dans le seul endroit qui lui sera toujours ouvert : l’église. C’est en s’y rendant régulièrement qu’elle attire alors l’attention de Shane. Il l’aborde avec courtoisie et respect et lui propose son aide, qu’elle refuse poliment dans un premier temps. Il lui explique faire partie d’un petit groupe de fidèle appelés Les Cultivateurs, qui l’hébergeront sans problème en cas de besoin. N’ayant pas trouvé d’autre solution, Eileen acceptera finalement de rejoindre ce petit groupe, à la fois par curiosité mais aussi un peu par dépit. C’est pourtant en les rejoignant que sa vie bascule complètement.
Avec eux, Eileen renoue avec sa foi. Elle redécouvre Dieu, elle redécouvre Jésus, Marie ainsi que tous les Saints. Elle redécouvre la dimension sacrée et intime de la prière. Le groupe des Cultivateurs, vit en marge de la ville et compte une cinquantaine de membres, tous soudés et solidaires. Le Père Ryan fait office de guide spirituel et moral à l’ensemble de ses adeptes et accueille la jeune fille le plus chaleureusement possible. Les règles morales sont strictes et Eileen se plait enfin à vivre dans une cadre et à être soutenue par ses pairs. Elle s’intègre dans la communauté sans aucune difficulté et parvient à confier ses peines, ses inquiétudes. Pendant une longue période, elle ne s’énerve plus. On l’aide à revenir sur son passé, à entrevoir les signes que Dieu veillait sur elle depuis le début. On l’aide à gérer ses émotions et enfin elle se sent en parfaite sécurité. Emerveillée par ce nouveau mode de vie, elle ne met pas longtemps à succomber à Shane, responsable de sa venue dans le groupe. Il est en réalité le neveu du Père Ryan et au bout d’un an et demi parvient ainsi facilement à avoir son accord pour demander Eileen en mariage. Fiancée puis mariée rapidement, devant Dieu selon les règles et pratique des Cultivateurs. Il faut alors peu de temps aux jeunes mariés pour concevoir la vie. Un petit garçon nommé Eliot agrandit la famille des Cultivateurs. Eileen pense avoir trouver le vrai bonheur, une vraie famille dans laquelle elle s’épanouit. Rien n'aurait pu, à ce moment, la rendre plus heureuse.

Mais après plus de deux ans passés dans cette communauté les choses commencent à s’envenimer. Frappé par une maladie, son petit garçon, l’amour de sa vie, ne survit pas à sa troisième année sur terre. Eileen est simplement dévastée par la perte de son fil. La première grosse crise de colère depuis sa nouvelle vie survient alors rapidement, alors qu’elle effectue une collecte d’argent pour Les Cultivateurs. Un homme alcoolisé la bouscule, lui lâche : « Casse-toi pétasse. » C’est comme s’il avait activé un interrupteur. Eileen lâche son petit seau pour la récolte de l’argent et se jette sur l’homme qui fait pourtant deux fois sa taille, elle le griffe, elle le mord, elle lui crache dessus et hurle à s’en faire exploser les poumons. Les autres cultivateurs, choqués par la scène, doivent s’y prendre à plusieurs pour la décoller de sa proie encore stupéfait par l’attaque.
La communauté rencontre alors des premiers problèmes avec les autorités locales à cause de cela. La police veut en savoir plus sur eux, leur mode de vie suite à cet incident, et tout le monde doit y mettre du sien afin de préserver leur église et leur liberté de culte.
Isolée, puis repentie, Eileen reprend petit à petit ses marques mais elle réalise la peur qu’elle inspire malgré elle à certains. Elle va alors s’en servir. Exigeante avec elle-même, elle le devient avec les autres, rongée par la perte de son fils, elle supporte de moins en moins les petits écarts aux règles. Parallèlement le Père Rayan devient distant, ce qui ne va pas avec les besoins de guidance de plus en plus fort que ressent Eileen. Elle s’en agace auprès de Shane, qui devient à son tour fuyant. Les mois passent et les humeurs de la jeune femme sont de moins en moins supportables par l’ensemble de la communauté. Mais le 16 juillet 2015, marquera un point de rupture. L’ensemble de la communauté se réveille dans la panique alors que le père Rayan et Shane sont introuvables et injoignables. S’en suit une semaine intense de prières et de rites afin de les retrouver, mais étant toujours sans nouvelles de leur part, on appelle finalement la police.
C'est un coup de massue pour la jeune fille. On lui aura tout pris, on lui aura tout arraché. Après de longues journées d’investigation de la police sur leur lieu de vie, leur communauté est dissoute. « Arnaque », « secte », « suivi psychologique », sont les mots répétés par les forces de l’ordre mais elle ne veut pas les entendre. Elle ne peut pas les entendre. Tout ce qu’il y a en elle c’est la rage. Une rage folle, sourde, qu’elle est incapable de retenir. Elle explose, tombe au sol et cette fois-ci tout devient noir

Eileen se réveille dans un service psychiatrique. Elle est hospitalisée quelques mois, le temps d’avoir un accompagnement psychologique renforcé ainsi qu’un diagnostic sur ses accès de colère. Elle apprend qu’elle souffre de Troubles Explosifs Intermittents, et se voit administrée un traitement pour l’aider à contrôler ses pulsions colériques. Elle ne cesse de réclamer son mari. On lui explique alors que le père Rayan n’était pas vraiment prêtre, avait une fausse identité, tout comme son neveu Shane. Son mariage n’avait donc aucune valeur, ni légale, ni spirituelle.  Eileen peine à encaisser toutes ces informations mais se laisse accompagner par les personnels hospitaliers docilement. Parfois même, elle réclame son fils, elle ne cesse de prier, elle dit être prête à tout pour revoir ne serait-ce que son visage. Alors on ne lui réponds généralement rien.
On pourrait croire que sa foi aurait été ébranlée par cette épreuve, et pourtant… Pour la deuxième fois elle renoue avec sa foi, elle demande pardon de s’être laissée égarer mais remercie le Seigneur de l’avoir mise à l’épreuve. Elle sait qu’elle n’en sortira que plus forte. Lorsqu’Eileen sort de l’hôpital, elle travaille en faisant des ménages ce qui lui permet de louer une petite chambre de bonne. Elle respecte toutefois scrupuleusement son planning d’hospitalisation de jour et ses rendez-vous avec sa psychologue. Elle remercie Dieu chaque jour de l’avoir mise sur la voie de la guérison.

Le 4 décembre 2018, alors qu’elle semble avoir repris une vie normale, elle a une illumination. En pleine nuit, elle est réveillée par une étrange lumière. Une Voix s’adresse alors à elle : « Grace, tu dois y retourner. Tu dois les aider. Ils ont besoin de toi. Trop de vices et de perversion. Montre-leur le chemin. Mon chemin. Tu peux le faire Grace, je te donnerai toute la force dont tu auras besoin. » La Lumière s’approche de sa poitrine avant de la pénétrer, la plongeant immédiatement dans un sommeil de plomb.
Eileen se réveille brusquement quelques heures plus tard. Certains diront qu’il s’agissait d’un rêve mais elle le sait : Dieu lui a parlé, il lui a donné une mission. Elle n’a alors qu’une certitude : elle doit retourner à Galway. Malgré l’affirmation de la Voix, elle ne se sent pas prête, elle ne se sent pas forte. Elle fait sa valise avant de la défaire, puis de la refaire. Elle n’a pas pris de nouvelle de ses parents depuis longtemps, elle ne sait pas si elle est prête à les revoir. Elle commet alors l’erreur de prendre rendez-vous avec sa psychologue afin de faire le point.
Dès le lendemain, alors que la jeune femme n’a toujours pas préparé son départ après des nuances apporté par sa thérapeute, un nouveau signe divin se manifeste, bien moins engageant que le précédent.
Un appel téléphonique d’un agent de police de Galway apprend à Eileen le décès de ses parents dans un accident de voiture. Le téléphone tombe au sol, Eileen s’écroule. Elle n’a pas eu une confiance pleine en la Voix, elle a hésité, voilà le résultat.
« Accident » a été le terme utilisé par l’officier. La voiture de ses parents a tout bonnement explosé sans raison apparente, l’enquête est en cours mais rien ne semble indiquer un incident criminel. Si ce n’est pas un signe de colère divine qu’est-ce que cela aurait pu être ? La Voix résonne à nouveaux : « Trop de vices et de perversion. » Les larmes s’arrêtent soudainement. Elle relève la tête la colère l’envahit à nouveau mais se transforme rapidement en une nouvelle émotion : la détermination.

Grace Byrne arrive à Galway deux jours plus tard, le 7 décembre 2018. Elle rencontre tout d’abord le vieux prêtre qui la reconnaît à peine « Eileen… cela fait si longtemps…je suis désolée de te revoir dans une si funeste occasion. » La jeune femme répond simplement, pleine d’émotions « C’est Grace maintenant, mon Père. » Elle se rend ensuite dans son ancienne maison qu’elle retrouve bien mieux meublée qu’à son départ. Elle ne supporte pas d’y vivre en sachant qu’elle a été acquise avec de l’argent sale. Elle la revendra donc par la suite pour s’acheter un appartement, toujours à Claddagh mais plus modeste et fera don du reste de l’argent à la paroisse. Après l’enterrement de ses parents, l’affaire sur leur « accident » est classée et Grace redécouvre sa ville. Elle postule pour continuer les ménages et trouve du travail dans l’hôtel du quartier. Elle apprécie à nouveau sa petite vie, elle se remet à dessiner et donne beaucoup de son temps libre en bénévolat à sa paroisse. Car elle n’oublie pas pourquoi elle est là, elle n’oublie jamais sa mission, d'autant plus que les disparitions continuent à Galway. Elle continue de s'impliquer dans les recherches et apporte systématiquement son soutien et sa sympathie aux familles, notamment par la prière.
Elle renoue également avec d’anciennes connaissances qui l’accueillent toujours de la même manière « Ça alors ! Eileen ça fait si longtemps ! ». Alors elle les corrige à chaque fois, toujours avec un sourire bienveillant, mais un ton ferme: « C’est Grace maintenant. »