A fading memory of what once was | Ft. Anna

New York. Début des années 80. L’esprit de la fin des 60’s et 70’s était encore dans l’air. Le rock and roll se faisait entendre dans les logements étudiants et les campus, et beaucoup d’Américains gardaient encore en tête l’horreur de la guerre du Vietnam. Cory lui, gardait en tête les conflits liés à l’Irlande du Nord. Conflits qu’il avait évité en partant pour les Etats-Unis, mais qui avaient impliqués quelques amis à lui au pays. Lui se sentait chanceux d’avoir pu vivre sa vie pleinement sans se soucier de mourir pour une cause politique. Il était a l’Université depuis maintenant deux ans, vivait en collocation avec deux Américains, et la vie semblait pleine de promesses. L’avenir était grand ouvert, et le quotidien était fait d’études et de bonne musique. Le soir, ils aimaient sortir au Pub du coin. Cela lui rappelait un peu Galway. Et tout le stress de l’Université disparaissait après quelques verres. Ce petit bar était devenu leur QG, et ils n’étaient pas les seuls : beaucoup d’autres étudiants traînaient ici. Il y avait un billard, une petite lumière tamisée, et du bruit. Beaucoup de bruit. Ce qui était parfait pour quelqu’un comme Cory qui aimait beaucoup parler, écouter, et s’amuser. Cette soirée aurait donc dû être une soirée comme une autre pour Cory et ses amis. Mais c’était aussi la soirée qui allait changer sa vie : celle ou il allait rencontrer la femme de sa vie : Anna. La première fois qu’il posa son regard sur elle, elle était en train de danser. Les yeux fermés, ses longs cheveux roux qui volaient dans tous les sens, et elle semblait partie dans un autre monde. Anna était indéniablement hypnotisante, et c’était difficile pour Cory de ne pas tourner la tête vers ce coin de la pièce, se laissant volontairement distraire de sa conversation. Ses amis ne manquèrent pas de lui faire remarquer qu’il avait le regard baladeur et il baissa les yeux en souriant, gêné. Un peu plus tard, dans la même soirée, ils se retrouvèrent tous autour d’une table de billard, discutant de leurs études, ayant réalisés qu’ils étaient tous dans la même école. Les amis de Cory et les amis d’Anna semblaient bien s’entendre, et ce fut le plus naturellement du monde qu’ils commencèrent à se rapprocher, plaisantant sur la vie, parlant de musique et de leurs professeurs respectifs. Cory était en troisième année, elle en première, mais ils avaient presque le même cursus. Au bout d’un moment, ses amis ne purent s’empêcher de dire à Anna que Cory l’avait regardée danser un peu plus tôt. Histoire de le taquiner un peu. Cela fit sourire Anna, qui se tourna alors vers lui, curieuse :

Anna : - Ah oui ? Pourquoi n’es tu pas venu me parler ?
Cory : - Umm, je… ne voulais pas être impoli ?

Il n’était pas timide d’habitude, mais elle était si belle qu’il avait peur de dire quoique ce soit de maladroit. Elle avait sûrement l’habitude qu’on lui sorte tout un baratin ridicule et qu’on lui dise ce qu’elle voulait entendre, et la dernière chose qu’il voulait, c’était être ce genre de type à ses yeux. Il sourit donc nerveusement, ne cherchant pas à cacher qu’il cherchait désespérément quoi dire.

Anna : - Je te rend nerveux ?
Cory : - Non… ?
Anna : - ( …)
Cory : - Oui.

Cory la regardait en se pinçant les lèvres, même si c’était clair qu’il souriait en même temps. C’était rare qu’il ne soit pas en train de raconter toute sa vie d’une traite sans avoir peur de saouler son interlocuteur, ou dans ce cas, interlocutrice. Ses amis étaient morts de rire derrière lui, voyant qu’ils assistaient tous à un moment historique. Et cela faisait rire Anna et Cory d’avoir des spectateurs. Ils se dévoraient du regard et si ça ne tenait qu'a eux, ils auraient sûrement passé la nuit ainsi, à juste se fixer comme s'ils se connaissaient depuis toujours et qu'ils n'avaient plus besoin de... mots. Etrange. Cory parlait souvent par peur du vide, ou pour meubler, ou tout simplement parce que pour lui, c'était la meilleure façon de faire connaissance: tout dire d'un coup. On lui avait souvent dit que c'était une erreur et qu'il valait mieux "se protéger". Se protéger de quoi, du jugement des autres? Au fond, ceux qui voulaient juger pouvait bien le faire, ça n'allait pas l'empêcher d'être heureux, comme là, tout de suite...

Anna n’arrivait pas à croire qu’elle avait enfin un homme en face d’elle qui osait la regarder dans les yeux. Et d’ailleurs, il ne la quittait pas des yeux. C’était déstabilisant, mais elle se garda de le laisser transparaître. Elle avait, dans un premier temps, eut l’impression d’avoir quitté son corps et de se voir parler sans plus avoir conscience de ce qu’elle racontait. Le monde avait disparu, la musique semblait étouffée comme dans un lointain souvenirs, et il ne restait qu’elle, et ce charmant jeune homme. Et ses amis derrière qui faisaient les clowns. Il avait ce charme qui lui rappelait le pays, mais il y avait autre chose. Chacune de ses petites mimiques lui serrait le coeur d’une merveilleuse façon. Et visiblement, il l’avait remarquée bien avant leur discussion, ce qui faisait un peu rêver Anna qui aimait bien se dire que le destin existait. Il avait fallu qu’elle soit a l’autre bout du monde pour rencontrer un Irlandais, ça devait être un signe ! Alors qu’ils se découvraient, l’heure tournait, mais le lendemain n’avait déjà plus aucune importance. Leurs corps et leurs mains s’étaient rapprochés sans que ce soit calculé, et il était clair qu’ils allaient avoir du mal à ne pas passer la nuit ensemble. Mais leurs colocataires respectifs étaient toujours collés à eux comme des sangsues, ne semblant pas avoir de vie, préférant faire des commentaires et rigoler comme des enfants. Leur comportement plus ou moins infantile ne faisait que renforcer le respect qu'Anna avait pour Cory. Il semblait si respectueux et si différent des..."autres". Anna ne se laissait pas aborder et avait toujours détesté ça. Mais là... c'était elle qui avait fait les premiers pas. Et vu comment il la regardait, c'est elle qui avait le pouvoir. Et au fond d'elle, elle appréciait beaucoup cette situation. Cory l'intriguait. Beaucoup. Et elle aurait adoré pouvoir le kidnapper pour s'éloigner loin d'ici.

Anna : - Tes amis sont toujours aussi…
Cory : - Je dois bien avouer que...oui...

Fou rire général. Cory et Anna avaient l’impression que leurs amis mutuels étaient collés à leurs eux comme s’ils regardaient une comédie romantique sur un petit écran. Heureusement, ils étaient trop focalisés l’un sur l’autre pour que cela les dérange.

Cory : - Je sais que tu ne vois que mes amis de là ou tu es mais, les tiennes sont en train de me fixer depuis 5 minutes aussi.

Anna se retourna vers ses amies qui étaient en train de se comporter comme des fan girls des Beatles, à murmurer et rire bêtement. Levant les yeux au ciel, Anna se retourna vers Cory et le tira vers le bras en l’entraînant plus loin :

Anna : - Viens, fuyons ces gens désespérés !

Cory se laissa traîner tout sourire et ils continuèrent à discuter. Réalisant qu’ils vivaient tous les deux en collocation et qu’ils ne pouvaient pas contenter longtemps un public aussi expressif, ils décidèrent, a l’ancienne, d’échanger leurs numéros de téléphone. Ils se retrouvèrent dans un couloir du pub, souriants comme des adolescents qui ne se souciaient pas du lendemain. Ils n’existaient qu’à travers ce moment, et la musique. Leurs sourires parlaient plus que les mots, et la lumière tamisée rendait chaque seconde ultimement' réelle, et irréelle.  Anna avait la sensation d’être dans l’esprit de Janis Joplin, enivrée par l’esprit 60’s et 70’s  Américain,  transportée dans un autre monde : celui du bien être total et sans comptes à rendre. Ce monde qui lui correspondait tant : celui de la jeunesse, pas dorée, pas pauvre, juste… présente. La classe moyenne, semi-aisée, peu importe. Anna ne se souciait de d’une seule chose : sa famille voulait qu’elle réussisse, et avait tout fait pour : c’était à elle de les rendre fier. Mais dans ce moment présent avec Cory, elle oubliait pour la première fois toute la pression que l’on avait volontairement ou involontairement placé sur elle. A travers les yeux de ce charmant jeune homme, elle se voyait non comme la fille d’intel, mais comme une personne avec sa propre existence, qui n’était peut-être pas toute tracée en fin de compte. Anna s’était toujours vue à travers les yeux de ses parents, et tous les autres regards n’avaient jamais eu d’importance… jusqu’à maintenant. Alors qu’elle regardait Cory, Anna ne réalisait pas encore qu’il s’agissait de son futur mari. Mais elle sentait qu’il avait le pouvoir inconscient de la faire rêver. Sans effort. Tout son être sentait que cette rencontre n’était pas anodine.

Cory et discutèrent un long moment dans ce couloir, oubliant complètement qu’ils étaient au milieu du passage. Les clients du bars, majoritairement jeunes, faisaient des aller retour jovialement, mais que les futurs amoureux étaient bien trop fascinés l’un par l’autre pour s’en soucier. Au fur et à mesure que leur lien se nouait, Cory réalisait que, malgré leurs origines Irlandaises, ils étaient bien différents. Anna vivait en collocation aussi, certes, mais elle semblait n’avoir aucun soucis financier. Elle s’était retrouvée à New York, comme lui, parce qu’elle rêvait de voir autre chose que les paysages d’Irlande. Mais c’était discernable dans son discours et son accent : elle venait d’une bonne famille. Elle semblait avoir déjà planifié toute sa vie, ce qui était à la fois impressionnant et intimidant. Si ils avaient été en Irlande, elle ne lui aurait sûrement jamais adressé la parole. Mais cette ville vibrante apportait son lot de rencontres surprenantes… et lumineuses. Avait-il déjà vu une jeune femme aussi belle ? Sûrement pas. A part, peut-être, dans les pages modes des magazines. Cory n’arrivait pas à croire qu’elle s’intéressait à un mec banal comme lui. Il avait beau avoir conscience de son potentiel et de son charme, elle était, disons, sur un autre niveau. Mais Cory n’avait pas peur, non, parce qu’il n’avait franchement rien à perdre. Il était déjà ravi de pouvoir discuter sans qu’on lui reproche son enthousiasme. Toutefois un peu flippé de dire la phrase en trop, ce sentiment disparu assez rapidement. La conversation resta fluide et plaisante, et ni l’un ni l’autre ne semblait pressé que cela devienne, disons, physique. Peut-être parce que c’était tellement rare, à New York, de trouver des gens sincères à qui parler. En y repensant, c’était bien la première fois qu’il parlait de tout ça avec « une fille ». Elle était adorablement rebelle à sa façon, et semblait avoir choisit cette voie scientifique pour prouver aux hommes de sa famille qu’elle valait autant qu’eu. Malgré ses envies sérieuses, Anna était pleine de vie et toujours souriante, un peu comme lui. Ils représentaient tous les deux assez bien cette nouvelle génération avide de changer le monde à travers la réflexion et la spiritualité plutôt que la guerre. Cette même génération qui voulait grandir vite pour gagner son indépendance, mais aussi celle qui aimait s’amuser. C’était l’époque de Cyndi Lauper qui chantait ‘Girls just want to have fun’, celle des fanatiques du fitness et des couleurs vives, celle des coupes de cheveux improbables, et du rock and roll. Une chose était sure : le rêve Américain était tout autour d’eux, et c’était difficile de ne pas se laisse prendre au jeu.

Ils avaient du laisser passer une bonne dizaine de personnes, se laissant bousculer de temps à autre sans trop faire attention. Et ce n’était pas très poli de laisser leurs colocataires respectifs trop longtemps sans nouvelles. Cory et ses amis avaient prévu de finir leur soirée dans une maison en banlieue proche, et il n’avait pas envie qu’ils l’abandonnent en pensant qu’il avait trouvé mieux à faire. Mais il était hors de question qu’il lâche Anna. Il avait envie de passer chaque minute de sa vie avec elle….

Cory : - Je ne sais pas si ça te dit mais on compte finir la nuit dans une maison, après la fermeture du bar, c’est un peu loin mais on a un van et….
Anna : - Un van ?

Anna arqua un sourcil, l’air amusée. Elle était clairement en train de les juger pour ça mais ils n’étaient qu’une bande d’étudiants sans le sous qui avaient économisé pour s’acheter un vieux tacot tous ensemble. Certes, c’était un des vestiges des années hippies, mais c’était pratique quand on voulait sortir un peu de la ville. Les alentours de New York avaient des plages sympas l’été, mais surtout, ils avaient pour habitude d’aller squatter cette fameuse maison qui appartenait à quelqu’un de leur classe, ou plutôt : à ses parents.

Anna : - Vous êtes au courant que les années 70 sont terminées ?
Cory : - Haha. Oui, mais si tu viens, prépare toi à entendre beaucoup de Hendrix et Janis Joplin, mes amis sont légèrement… fan ?
Anna : - Et toi tu ne l’es pas ?
Cory : - Si si, aussi, mea culpa.
Anna : - Je pense pouvoir survivre….
Cory : - Au van, ou à la musique ?
Anna : - Hmm... les deux.

C’était un autre temps, ou les filles pouvaient suivre des inconnus sans avoir trop peur de finir découpée en petits morceaux. Mais cela demandait une certaine confiance malgré tout. Bien qu’elle ne l’ait pas laissé finir sa phrase, Anna avait l’air plutôt partante pour cette petite aventure entre nouveaux amis.

Cory : - Alors tu veux venir ? Tes amies sont invitées aussi évidemment. C’est une grande maison, il y a une piscine et plein de chambres si vous voulez dormir, mais sinon, c’est généralement la fête jusqu’au lever du soleil.

Cory se sentait comme un petit enfant qui attendait son cadeau de Noël. Il avait tellement peur qu’elle disparaisse aussi vite qu’elle était apparue. Et ce genre de moment n'arrivait pas tous les jours. Alors, si elle acceptait, c’était la promesse de toute une nuit de bonheur. En tout bien tout honneur, évidemment. Car Cory n’avait jamais voulu d’histoires passagères.

Anna n’était pas du genre à hésiter. D’ailleurs, c’était déjà clair dans son esprit :elle n’avait pas envie de rentrer chez elle. Sa vie était si répétitive, remplie de cours, de devoirs et de révisions. Elle ne sortait presque jamais dans les soirées dansantes, de peur de perdre le fil de ses études en s’amusant un peu trop. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle était dans ce bar : au moins, il y avait une heure de fermeture, histoire qu’elle ne perde pas son sens des priorités. Mais peut-être qu’elle avait exactement besoin de ça. Et peut-être que la proposition de Cory tombait à pic. Partir à l’aventure, se perdre un peu dans la campagne, retrouver le plaisir d’une maison… et le tout en bonne compagnie. Comment résister? Cory et Anna se fixaient bêtement, comme des enfants sur le point de faire une bêtise, tout en sachant déjà comment ça allait se finir. Avait-elle vraiment besoin de répondre à voix haute ? Il avait une voix parfaite, un sourire à tomber… elle devait absolument découvrir le reste. Et puis, c’est pas comme si elle allait l’épouser. Ce n’était qu’une nuit. Une nuit pour s’amuser un peu et profiter de sa jeunesse, loin du jugement de sa famille. Après tout, quel était l’intérêt de vivre aussi loin d’eux si c’était pour rester la même personne, et ne jamais prendre aucun risque. Avant qu’elle n’ait pu répondre cependant, une de ses collocataires hurla depuis l’autre bout du bar : « Anna ! On va à une soirée vieeeeens ! ». Les amis de Cory avaient visiblement invités ses amies, prenant les devants. Et tout le monde avait l’air sur la même longueur d’onde : ils allaient finir la nuit tous ensemble. Cory semblait enchanté, et Anna ne put que faire le plus grand sourire du monde. Echanges de regards plus ou moins malicieux. Anna pencha un peu la tête sur le côté, comme pour observer son futur compagnon nocturne d’un peu plus près :

Anna : - Je crois bien que c’est le destin….
Cory : - Je crois bien aussi….

Ils furent interrompu par un des colocataires de Cory qui sautilla jusqu’à eux avant de passer le bras autour de lui , tout en expliquant aux futurs amoureux comment la reste soirée allait se dérouler. Pour Anna, c’était excessivement mignon de voir ce ‘bro love’. Elle n’avait jamais connu se sentiment de camaraderie avec des filles. Et c’était impossible de l’avoir avec des garçons, tant ils semblaient incapable de la voir autrement que comme « la fille ». Mais elle rêvait de ce genre de relation, d’égal à égal, sans conflit ni fierté mal placée. Cory semblait habitué et se laissait faire par son ami qui parlait presque autant que lui. Mais il ne la quittait pas des yeux. Et ça la faisait sourire comme pas possible. Ah les garçons… La petite troupe ne tarda pas à quitter le bar : la route était longue jusqu’à la maison. Anna, Cory et leurs amis respectifs s’engouffrèrent donc dans un petit van, et du bon rock n’roll ne tarda pas à se faire entendre à la radio.

Entre le grésillement de la musique et le bruit du moteur, on entendait à peine les discussions qui allaient pourtant à tout va. Deux par deux, trois par trois, tous refaisaient le monde pour passer le temps. Ils parlèrent de politique, de physique, mais surtout de musique. D’autres dormaient, comme pour reprendre des forces et repartir de plus belle. La nuit était déjà tombée depuis longtemps lorsqu’ils arrivèrent sur la terre promise, mais ça en valait la peine. La piscine faisait déjà de l’oeil à Anna avant qu’une bande de chevelus n’apparaisse, leur proposant toutes sortes de bonnes choses à manger, à boire, et... à fumer. Rien d’étonnant pour l’époque. Un vent de fête les porta jusqu’au salon où se trouvaient déjà une bonne vingtaines de personnes. Cory avait attrapé sa main le plus naturellement du monde, la traînant de manière enjouée jusqu’à l’intérieur de la maison. Anna s’était laissée faire, ravie, réalisant qu’il n’allait plus la lâcher. Elle appréciait le fait qu’il ne l’abandonne pas, car en dehors de ses amies, elle ne connaissait personne. Et ses amies en question avaient rapidement disparues dans la foule d’inconnus, prêtes à s’amuser. La maison semblait immense, surtout lorsqu’on avait prit l’habitude de vivre dans un petit appartement New Yorkais. On se serait presque cru à une fête typique de campus, sauf que le décors rappelait que ce logement appartenait à des parents : vieilles peintures, beaucoup de chambres, et une immense piscine. Personne de leur génération n’aurait pu se payer ça. L’environnement se prêtait bien à l’esprit de fête cependant, et aucun voisin n’allait débarquer à cause de bruit : les maisons étaient assez éloignées les unes des autres. La ville semblait bien loin déjà, bien qu’ils ne l’aient quittée que depuis peu…. Et Anna ne regrettait pas d'être venue jusqu'ici. Peu importe ce qui allait se passer, elle était déjà heureuse d'avoir pu, un peu, s'échapper du quotidien.

Cory n'avait jamais osé inviter quelqu'un d'extérieur à traîner avec son cercle d’amis. C’était un microcosme composé d’une dizaine de personnes qui se côtoyaient au quotidien. La plupart étaient étudiants dans la même Université, et les autres s’étaient greffés au groupe au fur et à mesure des soirées. C’était un groupe comme on en voyait tant à l’époque, et chacun avait une place bien déterminée. Il était donc difficile d’y ramener une nouvelle personne sans que tout le monde ne s’agite. Tout le monde scrutait Anna d’autant plus qu’elle était main dans la main avec lui. Cory était à New York pour se concentrer sur ses études et par conséquent, il n’avait jamais envisagé de commencer une relation quelconque. Tout le monde le savait : il était là pour être sérieux. Lui qui faisait encore le deuil de sa relation précédente, celle qu’il avait délaissée égoïstement en Irlande, on attendait de lui qu’il reste célibataire plutôt que de ramener une fille. Cory était bien trop fier de cette rencontre pour se soucier ‘du groupe’. Il savait qu’il allait devoir répondre à toutes les questions de ses amis, mais il savait aussi qu’ils allaient bien se tenir. Anna était trop souriante pour qu’ils n’osent douter de sa bienveillance. Pour l’entourage de Cory qui se trouvait déjà sur place, la soirée avait commencé depuis un bon moment, ce qui se voyait aux quelques personnes aux longs cheveux qui dansaient d’une manière qui ne voulait dire qu’une chose : LSD.

Une fois les présentations terminées avec les quelques personnes encore en état de parler, Anna et Cory se laissèrent guider par l’élan collectif de fête et de rires. Les discussions se dispersèrent dans tous les sens et même si la politique prenait parfois le dessus, tout le monde réussit à rester cordial et prêt au débat. Certains agitaient des livres sur le communisme alors que d’autres prônaient la paix éternelle façon John Lennon. Cory regardait de temps en temps Anna pour s’assurer qu’elle ne s’ennuyait pas et qu’elle ne regrettait pas d’être venue ici. Plus il la voyait sourire, plus il sentait qu’il y avait vraiment quelque chose de magique avec cette fille. Elle semblait comme lui, facile à vivre, volontairement insouciante, souriante, et prête à tout découvrir du monde. Il était rare que Cory soit impressionné aussi vite par quelqu’un. Anna s’était trouvée une place plus vite qu’il ne l’aurait cru. Mais il ne voulait pas que ses amis lui volent trop la vedette. Une femme comme ça, si on la laisse s’échapper, on doit s’en vouloir pour toujours. Et même si Cory était généralement le plus ‘mignon’ de ses camarades, il ne voulait pas prendre le risque qu’un de ses amis essaye de lui piquer. Comme ses amis sortaient à peine de l’esprit free love sans avoir vraiment lâché le truc, hein ! Après quelques temps passé dans un gros canapé moelleux, Anna proposa d’aller chercher des bières au frigo et demanda à Cory de lui montrer le chemin, et d’en profiter pour lui faire visiter. Malgré tout, ça semblait complètement innocent, et personne ne sembla y voir de sous entendu. Après un court trajet vers la grande cuisine Américaine, les bières furent ramenées vers le salon, et le petit (grand) comité continua joyeusement de festoyer. Un hippy barbu rampa vers Cory pour lui proposer du LSD, la paume tendu vers lui, présentant le sucre imbibé de drogues comme s’il lui présentait le saint graal. Cory ne put que regarder Anna histoire de voir ce qu’elle voulait faire. Il l’avait ramenée ici, il n’allait pas l’abandonner pour un trip.

Anna ne sembla pas choquée du tout et semblait même complètement d’accord puisqu’elle demanda par elle même si elle pouvait en prendre aussi. Le hippy rampant fit donc apparaître d’autres petits sucres et quelques nouvelles mains furent tendues vers ce nouveau messie. Il ne restait plus qu’à attendre et écouter le son. Tout le monde finit naturellement allongé par terre, et les tables furent éloignées pour laisser place aux coussins et plaids de famille. Certaines personnes se mirent à chanter des Ohm, ce qui fit beaucoup rire Cory et Anna qui attendaient patiemment leur montée en discutant, allongés l’un à côté de l’autre. C’était un comble, un peu. Deux futurs ingénieurs qui regardent le monde à l’envers.

Anna s’était rapidement sentie à sa place dans ce flot de sourires, de rock and roll et de cheveux longs. Elle avait par elle même décidé de rejoindre le trip général et avait pris son petit sucre acide sans lâcher Cory des yeux. Difficile de savoir ce qui l’avait motivée au-delà d’un si joli sourire. Elle n’avait pas besoin de drogue. Elle n’avait pas besoin de se laisser entraîner dans ce genre de choses, et pourtant...elle envie de le suivre jusqu’au bout du monde, sans même le connaître. Elle se sentait en sécurité et prête à se lancer dans une aventure psychique avec cette bande de joyeux lurons. Après tout, elle avait bien besoin de décompresser. Les cours lui prenaient tant de temps qu’elle en oubliait parfois qu’elle était capable de s’amuser. Elle qui s’efforçait de rester la petite fille chérie de ses parents en toute circonstance, elle comptait pour cette fois, faire une exception. A quoi bon partir à l’autre bout du monde si on ne peut pas faire de nouvelle expériences ? De plus, il n’y avait qu’à suivre le mouvement. Elle se retrouva donc allongée par terre à côté de Cory. Autour d’eux, d’autres personnes s’étaient eux aussi trouvés une position confortable. C’était adorable, on aurait dit une bande d’enfants qui se préparaient pour une sieste. Certains avaient déjà fermés les yeux, d’autres avaient les bras tendus vers le ciel...enfin, non, plutôt tendus vers le plafond. Cory et Anna eux, se tenaient la main comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Ils ne se quittaient pas du regard, et posaient de temps à autre, une ou deux questions. Anna appréciait qu’il n’essaye pas de la draguer ouvertement et qu’il ait naturellement pris sa main au lieu de devenir tendancieux. Il avait l’air de respecter les femmes et de s’intéresser à autre chose qu’à l’aspect sexuel, ce qui le démarquait déjà des autres hommes qu’elle avait croisé ces dernières années. La révolution sexuelle avait visiblement eu un sacré impact sur les Etats-Unis, et bien plus qu’en Irlande. Cela ne dérangeait pas Anna, malgré son éducation un peu puritaine, elle avait toujours admiré de loin ces femmes qui se baignaient nues dans les rivières et qui semblaient vivre dans la fête perpétuelle. Elle avait vu tant de photographies de Woodstock qu’il était difficile de s’éloigner des clichés. Et lorsqu’on immigrait aux Etats-Unis, il était impossible de ne pas se sentir constamment au beau milieu d’un film. Chaque rue, chaque visage, chaque fenêtre semblait avoir une histoire digne d’être racontée. Et Anna désirait plus que tout vivre à son tour une histoire unique. Une histoire à l’Américaine.

Plus elle détaillait Cory et ses expressions, plus elle avait hâte de le découvrir dans un état secondaire. Ce genre de substance était capable de révéler bien des choses sur quelqu’un, et Anna se préparait au meilleur comme au pire. Dans tous les cas: elle allait vite savoir si ce jeune homme méritait qu’elle s’y intéresse. Il avait l’air si gentil et si à l’écoute qu’elle avait peur que ce ne soit qu’une illusion. Les hommes ont trop tendance à aller vers les faux semblants pour obtenir ce qu’ils veulent. C’est malheureusement ce que Anna avait retenu de ses relations passées. Aucune n’avait été sérieuse, aucune n’avait aboutit à quoique ce soit, et elle avait été déçue. Encore et encore. Anna avait donc apprit à éviter les faux espoirs, et si un homme voulait partager sa vie un jour : il allait devoir le mériter. En temps normal, Anna n’aurait jamais pensé à tout ça. Mais le fait de se retrouver par terre main dans la main avec un inconnu lui amenait des pensées bien complexes. Anna se tourna légèrement vers Cory pour continuer à le regarder. Elle voulait comprendre. Pourquoi ne voulait elle pas lui lâcher la main ? Leurs deux énergies étaient en osmose totale, et les effets du LSD n’avait même pas encore commencés. Il y avait quelque chose de mystique, mais qui ne venait pas de la bande de hippies qui chantonnaient autour d’eux. C’était comme si elle pouvait lire dans ses pensées, sans qu’il n’ait rien à dire. Et elle aurait pu rester là longtemps, à le regarder, essayant de comprendre ce qui leur arrivait.